réactionnaires partout, néo-réas et christianistes

Des réactionnaires partout..

« Les occidentaux ont réduit le péché lui-même à une seule dimension. Ils l’ont minimisé jusqu’à l’extrême… Ils ne sont pas coupables. C’est leur civilisation qui est coupable. » (Virgil Gheorghiu, La Vingt-Cinquième heure)

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En Ton nom Ô Christ, ils invoquent une construction

qu’ils voudraient bénie,

En Ton nom Ô indicible Suavité ils disent qu’ils bâtissent,
des cultures, des civilisations…
Arbres du désir, arbre cosmique des désirs.
Tu es l’Histoire mais une autre ils veulent,

à côté, un surgeon,
sans Toi mais… en Ton nom.

Incapables de te recevoir en eux ils se veulent bâtir

un nouveau temple de Salomon…

Ou une Babel nouvelle…

Or, or et sang,

Or, or et des frères la sueur
Prends pitié Seigneur,

Toi la Pierre de l’angle rejetée,

prends pitié des néo-constructeurs…

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« Le chrétien est appelé à remettre en question sans arrêt tout ce qu’on appelle progrès, découvertes, faits, résultats acquis, réalité etc… Il ne peut se satisfaire à aucun moment de tout ce labeur et, par conséquent, en exige le dépassement, le remplacement… » (Jacques Ellul)

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Mais « pourquoi ? », au nom de quoi ? D’une civilisation, d’une culture en péril, d’un ancien âge d’or, d’un mètre-étalon moral, de « principes »… ? Ce serait, résumée, la position des actuels réactionnaires dont il convient de remarquer que la résurgence ne semble guère inquiéter, au-delà des très officielles et médiaiques pamoisons, les officines de contrôle comme nous aurions pu nous y attendre. Signe, de l’intégration certes encore partielle mais néanmoins fort avancée de cette « pensée » à l’ordre du dominion contre la/lequelle elle entend réactionner . Sa fashionisation dirais-je ou, afin d’éviter le babélien version Etiemble, sa tendancisation ! Il ne saurait donc plus être véritablement question, dès lors, de « réactionnaires » mais, bien plutôt précisément de réactionnistes ! Que, parmi ceux-ci, certains affichent plus que d’autres une confession chrétienne afin de soutenir cette construction ne prouve qu’une chose : que décidément il est très dur d’être suffisamment chrétien. Je veux dire par là qu’il est bien difficile de ne se soutenir « que de ça »… Ne se sustenter que de la faiblesse divine…

Ainsi donc la « réaction  chrétienne », telle qu’exposée par Ellul, à quoi se pourrait-elle bien référer alors ? Le même nous offre une réponse qu’il nous faudra, bon gré mal gré, explorer un peu :

« Le chrétien ne peut pas agir, juger, vivre d’après des principes mais d’après la réalité, vécue hic et nunc de l’eschaton. C’est exactement l’inverse d’un moralisme. »

« Il faut être convaincu qu’il n’y a pas de principes chrétiens. Il y a la personne de Christ qui est le principe de toute chose, mais il ne saurait être question, si l’on veut être fidèle, de réduire (comme on l’a fait trop souvent) le christianisme à un certain nombre de principes dont on pourrait logiquement déduire des conséquences. Cette action de transformation de l’oeuvre du Dieu vivant en doctrine philosophique est la tentation constante et la plus grande trahison des théologiens et aussi des fidèles lorsqu’ils transforment l’action de l’Esprit […] en une morale, une nouvelle loi, des principes à appliquer. »

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des stalinos-conservateurs (?) 

« Conserver, oui, conserver de toute ses forces, car le monde est vieux. Mais ne pas considérer la mort des choses mortelles comme une défaite irréparable. Ne pas s’accrocher totalement, désespérément à la matérialité (au sens le plus large) d’une tradition, d’une institution, d’un régime. Sauver l’âme des choses dont le vent de la mort balaie le corps. » (Gustave Thibon, Parodies et Mirages)

La vie ? Quoi la vie ? C’est vaste, c’est d’une amplitude quasi infinie la vie ! Quoi ?

Une vie sans principes et c’est l’anarchie, le chaos ?

Mais, messieurs, qu’est-ce donc que la foi, sinon la confiance. Oui, oui je l’accorde c’est un sommet, un Anapurna… Vivre sa vie sans référence constante à des principes… Vivre en Dieu sa vie libre entièrement ? Une ascèse. Oui ! Cela se nomme ainsi ! Ça sonne « sec », hein ?

Et si, finalement, Ellul avait pressenti, sans le trouver vraiment, qu’un chrétien ne peut être « anarchiste » (ni autre chose en « iste ») mais est (et qu’il le veuille ou non) de par ce Nom même (et tout ce qu’il offre gracieusement par surcroît) : un anarque ou un acrate ! Une personne sur le seuil de la voie de la conformité à Celui qui seul est an-arkhos ! Sans commencement, sans principe(s) qui le précède et, surtout, qui soit hors de Lui même !

Oui, oui disent, comme réveillés de leur somnolentes turpitudes les eschatanthropos : « comprenez-vous, il faut conserver ce pilier de la société et de la civilisation qu’est l’Église et la religion… ! Oui c’est très sérieux… Mais, en définitive, uniquement pour que nous les puissants de l’intelligence qui pense bien nous puissions continuer, en douce, à nous livrer à nos plaisirs suaves, car ils perdent de leur suavité dès qu’ils sont éventés ou « vulgarisés ». Nous, les lettrés nous pouvions nous accommoder des restrictions de l’Église puisque nous étions, un peu au-dessus, libérés, éclairés par notre culture, notre civilisation presque toute entière bâtie sur une vision un peu « légendaire », un peu « mythologique » de la Bible. Nous l’avions ramené, finalement, à nos vues ! »

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des derniers et nouveaux christianistes (1)

Que veulent-ils donc conserver tous ceux-ci qui se camouflent derrière la « civilisation » (qu’elle soit selon les uns « judéo-chrétienne » ou « hélleno-chrétienne «  – même, quoique qu’en apparence antagonistes, « pieux » mensonges-) ? Les jeûnes ? Les prières ? Non, allons, ce qu’ils veulent se sont les pierres, les édifices, le « patrimoine », les « institutions » (ils ne sont finalement que le pendant « droitier » des « sénestres » écolos qui n’aiment que « l’environnement ») ! Mais ils ont, de leur côté, dans leurs rangs, les mots… une forme de langue, un style, un regard, une littérature (une… mythologie) !

« Le sentiment religieux en Occident ? Il serait oublié depuis longtemps, si son langage extérieur ne s’était conservé comme un ornement, comme l’architecture gothique, ou comme un hiéroglyphe sur un meuble, ou dans les desseins intéressés de ceux qui recourent à ce langage comme à quelque chose de nouveau. » (Vladimir Odoïevski, Les Nuits russes, écrit aux environs de : 1830…)

Selon certains spécialistes de la spécialité les athéistes auraient, au moins, ceci de supérieur sur les « croyants », que leur pensée ne connaîtrait pas le besoin de créer des « idoles ». Mais alors que sont donc la culture, la civilisation, le progrès, la justice sociale, le « patrimoine », la nation et, pour ceux de la voie sénestre : l’égalité ? Et n’est ce pas très spécialement à ces hameçons-là que mordent nos actuels christianistes ? Et n’est-ce pas là leur point de rencontre avec les athéistes (qu’ils prétendent combattre pourtant). N’ont-ils pas, finalement, même fondement, même assise, même : « culture » ? Même « civilisation » : le signe de Caïn est le signe de la civilisation. C’est le signe du meurtrier protégé par Dieu (J. Williams, The Bible, violence and the sacred). Le problème c’est que la civilisation ne se reconnaît plus meurtrière, ni coupable, elle est en passe de se faire prendre pour la victime…

Les deux camps se retrouvent finalement réunis avec leur « héros », mais sans son « courage » et sans sa vision :

« … Nietzsche est le seul penseur moderne qui soit parvenu à saisir, par un travail héroïque, ce que les penseurs chrétiens, trop timorés, ont toujours manqué. Il a mis le doigt sur ce « glaive » dont Jésus à dit qu’il était venu l’apporter, le glaive destructeur de la culture humaine qui ne peut manquer de susciter crainte et ressentiment même si – ou serait-ce parce que ? – il appartient à ce que Pascal appelle l’ordre de la charité. » (2) (René Girard)

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Noli me tangere

Cette expression du Ressuscité est généralement assez mal rendue. Le texte grec est mieux ressenti, en effet, lorsqu’il est transmis sous cette forme « ne me retiens pas ! ». La traduction latine-franque, « ne me touche pas » semble plutôt retourner l’intention vers ce qui fut justement brisé et renversé. Ce sens de la sacralité, de la pureté/impureté, ce sens strictement religieux liant et intégrant en lui social-morale-politique.

« La frustration, pour que l’espérance s’intériorise et s’universalise, caractérise toute la « pédagogie divine » de l’ancienne, des anciennes alliances. Elle culmine avec la croix et avec la déception affective et politique imposée à Marie-Madeleine et aux disciples. » (O. Clément, Le Christ, terre des vivants)

Sortir des « filets », de la « toile » (web) des possessions, des sacralisations idolâtres. Si le Verbe de Dieu s’est fait chair est-ce pour sauver la famille (3), les « nations »… Non point, Il l’affirma clairement, pour diviser, oui… Le réactionnisme rêve au minimum de « sauvegarder », de « conserver » quand la voie chrétienne est tout entière de transformation, de sortie du tombeau. Quand « le christianisme historique » enferme, selon René Girard, les textes des Evangiles « dans le tombeau, souvent splendide, de la culture occidentale. » Considérations qu’il serait assez vain et puérile de mettre en opposition avec l’exergue précédente de Thibon. Mais, là réside également l’une des pierres d’achoppements de l’occident qui pense l’Eglise comme « institution ». On peut donc et, parfois, il faut même, la réformer, voire la dépoussiérer… A ce titre, bien sûr, l’Eglise Orthodoxe semble la moins apte. Quelle leçon peut-elle donner, elle qui est « figée » dans le ritualisme et le dogmatisme qui sont, ON le sait, les pires formes de conservatisme… Or, et voici la poutre dans l’oeil de l’occident, saint Paul nous le dit : si le Christ n’est pas ressuscité notre foi est vaine… et s’Il n’est pas ressuscité alors l’Eglise n’est pas son Corps ! Il est donc loisible de la traiter comme une « vénérable », autant que modifiable, institution. Mais si Elle est Son corps, qui osera y porter la main, et surtout, où vivre ailleurs la liberté vraie, celle de l’acrate véritable  ? Pour l’Orthodoxie il ne s’agit donc pas de « conservatisme », ou plutôt disons que c’est cette sainte conception de l’Eglise qui lui permet de conserver la vie vivante et vivifiante de l’Esprit, et que c’est Lui qui nous conserve et conserve une liberté dynamique à chaque fidèle, à chaque membre du Corps, anarque unique et uni au Seul sans principe, Celui qui était, qui est, qui vient !

du Skandalon au katekhon

Les ésotéristes ou les traditionalistes sont presque toujours réactionnaires ; Ils sont condamnés aujourd’hui à manger le rôti sans la sauce ou la sauce sans le rôti. (Jean Carteret)

Finalement, les réactionnistes, les christianistes, sont du camps de ce « mystère d’iniquité », ce to kathékon, ce qui retient, qui enserre… Ce qui empêche la Révélation et la hâte de la Venue ! Ce qu’ils veulent maintenir ce sont tous les vieux stratagèmes sociétaux, culturels (voire ethno-religieux comme rejetons du très vieux stratagèmes théologico-politique) qui masquaient l’affreux dénouement religieux du « désir mimétique » ! Tout ce que, précisément Notre Seigneur est venu, par Son Incarnation et Sa Passion, dévoiler et renverser, et guérir !

En cela ils sont également du camp du skandalon ! Il semble de plus en plus évident que cette double appartenance, préparée de longue date soit l’une des vocations, très spéciale (autant que spécieuse) de l’Occident. Peut-être alors, peut-être seulement, les souffrances et les migrations conséquentes imposées à certaines populations Orthodoxes sont elles une réponse à cela, une tentative de dissoudre ce nœud occidental par la diffusion nouvelle et bien moins altérée de la bonne nouvelle ? Peut-être…

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(1) Qui sont ceux là mêmes, faut-il le souligner, qu’un christianisme moralisant et « traditionnel » gênait pour le moins tant que le feu de leur prétendue « géhenne » n’était pas encore parvenu jusqu’à leur lécher la sensible plante des pieds qu’ils promenaient allègrement dans les cul-de-basse-fosse les plus fétides. Le plus amusant est de constater que ce « compagnonnage » qui sent des pieds ne semble plus tant incommoder, aujourd’hui, les zélés zélateurs de Barruel, Maistre et consorts…

(2) « Il pensait que l’Anarchie c’est l’ordre. Son drapeau noir ne flottait pas dans la rue mais au tréfonds de fosses abyssales, aux confins de la folie et de la connaissance. » (P. Jardin à propos d’Abellio, in La Guerre à neuf ans, Grasset, 1971)

(3) La défense absolument rigide de la famille par ceux qui sont aussi les plus farouches conservateurs catholiques (et chez certains orthodoxes, d’ailleurs) me semble révélatrice car elle les contraints à s’allier aux euphémismes (de plus en plus proche parents des « féminisations ») les plus outrées des « modernes progressistes » des passages de l’Evangile dans lesquels le Seigneur demande expressément de « haïr » père et mère, ou bien encore de celui-ci où il affirme être venu apporter, non la paix mais la discorde dans les foyers (premières pierres de l’idolâtrie du « feu » domestique et non de l’eklesia qui est la personne : « TU es pierre et…. »). Il faut dès lors, comme si souvent, se tourner vers le monachisme orthodoxe le plus saint pour entendre la vérité de ces paroles. Mais, plus étonnant, un philosophe tel que Slavoj Zizek a, malgré tout, perçu bien mieux que les plus féroces « mécontemporains » la force des ces textes dans le contexte actuel…

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